Apologie de Socrate, étude de l'œuvre
Apologie de Socrate est
un ouvrage de Platon qui rapporte
les discours prononcés par Socrate
(469-399) devant ses accusateurs et ses juges lors d’un procès populaire à
l’issue duquel il sera condamné à mort. Socrate
a été jugé dans le Tribunal de la ville, l’Héliée, qui était un tribunal
populaire composé de 6000 citoyens âgés de plus de 30 ans (les héliastes)
désignés par tirage au sort. Pour chaque procès, on tire au sort 500 parmi les
héliastes qui vont être les jurés sous la présidence d’un archonte. Le procès
se déroulait en quatre étapes : 1°) Plaidoyer des différentes
parties ; 2°) Vote des jurés quant à la culpabilité de l’accusé ; 3°)
Proposition de peine par l’accusateur et l’accusé en cas de culpabilité de ce
dernier ; 4°) Nouveau vote des jurés pour indiquer la peine retenue. Dans son texte, Platon n’a pas cherché à relater le procès du début à la fin ;
il s’est borné simplement à rapporter les discours de Socrate. Dans ce travail, nous nous intéresserons à la biographie
de Socrate et au contexte historique
de son procès avant de passer au résumé et à l’étude thématique de l’œuvre.
I. LA VIE DE SOCRATE
Socrate
est un personnage fascinant et énigmatique que nous ne connaissons que de
manière indirecte, c’est-à-dire à travers ce qu’en ont dit les autres, étant
donné qu’il n’a pas écrit. Ces témoignages sont sans doute des matériaux
précieux pour la connaissance de sa personnalité. Ce qu’on peut dire de lui,
c’est qu’il était un homme vertueux au physique robuste mais peu attrayant, un
sage qui passait toute sa vie à réfléchir sur toutes sortes de sujets. Il
aimait inviter ses concitoyens à se réformer moralement en les poussant à
réfléchir. Farouche adversaire des sophistes (ces professeurs qui prétendaient
tout savoir), Socrate cherchait,
grâce à la philosophie, à amener les hommes à se rendre compte qu’ils ne savent
rien et qu’ils sont dès lors dans la nécessité de se lancer dans la quête de la
vérité qui est déjà en nous et qu’il suffit seulement de réveiller par la
réflexion. Mais ses discours incisifs où l’ironie occupe une place importante
le faisaient passer pour un trouble-fête, quelqu’un qui dérange. Il fait partie
des personnages de la plupart des dialogues de Platon qui était d’ailleurs un de ses disciples. Le procès de Socrate est avant tout un procès
politique qu’il faut replacer dans son contexte historique.
II. CONTEXTE HISTORIQUE DU PROCES DE SOCRATE
Comme le rapporte Platon lui-même, les chefs d’accusation contre Socrate se formulent ainsi : « Socrate est coupable devant la justice de corrompre la jeunesse et de
ne pas croire aux dieux qu’honore la cité, mais de croire en d’autres choses,
des affaires de démons d’un nouveau genre » (Apologie de Socrate, 24b-c, LGF, 1997, traduction de Bernard
Piettre et Renée Piettre). Le procès de Socrate
eut lieu en 399 av. J.-C. dans un contexte de crise de la cité athénienne.
Cette crise est liée pour une bonne part à la guerre du Péloponnèse qui opposa
Athènes et Sparte de 431 à 404 av. J.-C. Pendant cette guerre, il y a eu de
nombreux événements attestant l’instabilité politique de la cité. En -415,
alors que l’armée athénienne se prépare au départ vers la Sicile, nous
assistons au scandale des Hermacopides[1].
En -411, la démocratie est renversée et fut instauré un régime censitaire qui
connut cependant une courte durée. De 411 à 404, date de la fin de la guerre,
Athènes était plongé dans une grande instabilité politique. Mais la fin de la
guerre, marquée par la défaite d’Athènes devant Sparte, conduisit de nouveau au
renversement de la démocratie et à l’instauration d’un gouvernement de trente
magistrats qui traquaient et massacraient les chefs démocratiques déchus. Parmi
ces magistrats figurait le sophiste Critias qui était un ami de Socrate. Dès -403, cependant, la
démocratie fut rétablie et les Trente furent obligés de s’exiler pour échapper
à la vengeance des démocrates.
C’est cinq ans après le rétablissement de
la démocratie, donc en -399, qu’un dénommé Mélétos (poète), bientôt rejoint par
Anytos (tanneur et homme politique) et Lycon, déposa une plainte contre Socrate
auprès de l’archonte-roi[2].
Socrate est accusé de trois
choses : 1°) corrompre les jeunes gens ; 2°) ne pas croire aux dieux
auxquels croit la cité ; 3°) introduire de nouvelles divinités dans la
cité. La première accusation renvoie à l’enseignement de Socrate dans lequel on voit alors une manière de rejeter les
valeurs traditionnelles, de détourner l’esprit des jeunes gens. On sait que Socrate considérait qu’il n’est le
maître de personne, n’empêche il était suivi par de jeunes gens qui troublaient
l’ordre public par leur anticonformisme. Sur ce point, Socrate était confondu avec les Sophistes[3].
La deuxième et la troisième accusation se rapportent à la religion qui était
considérée alors comme une affaire civique de telle sorte que l’impiété était
perçue comme un crime qui doit être puni. Mais, en réalité, ces accusations ne
sont que le résultat de la haine que Socrate
inspirait à cause de son anticonformisme. Par ailleurs, les rapports amicaux
qui l’unissaient à certains membres du gouvernement des Trente et ses critiques
le faisaient passer pour un ennemi même du parti démocratique. Bien que tout au
long du procès Socrate se soit
défendu contre de telles accusations, comme nous le verrons, il sera condamné à
boire la ciguë (un poison mortel).
III. RESUME DE L’ŒUVRE
Apologie de Socrate comporte trois parties qui correspondent aux trois discours prononcés par Socrate lors du procès. Dans le premier discours (17a-35d), Socrate fait son plaidoyer. Il assure sa propre défense contre les chefs d’accusation retenus contre lui. Dans le deuxième discours (35e-38b), Socrate propose la peine qu’il veut, après que l’accusateur a demandé la peine capitale. Enfin, dans le troisième discours (38c-42a), il livre ses impressions après que les juges ont décidé la peine capitale comme sentence.
1°) LE PLAIDOYER DE SOCRATE (17A-35D)
Socrate
insiste d’emblée sur la beauté des discours prononcés par ses accusateurs et
sur l’influence qu’ils ne manqueront pas d’exercer sur les Athéniens pour
montrer qu’ils ne disent cependant rien de vrai. Après avoir assuré qu’il ne
dira que la vérité, Socrate entend
se défendre contre deux types d’accusation : les accusations anciennes et
les accusations récentes. Les accusateurs anciens sont à craindre plus que les
accusateurs récents car ils ont réussi à distiller dans l’oreille des citoyens
l’idée qu’il existe un Socrate
« savant homme, tant penseur des
phénomènes célestes que découvreur de tous les mystères souterrains, et qui
d’une mauvaise cause en fait une bonne » (18b-c). Ces accusateurs font
croire aux gens que se livrer à ce genre de recherche revient à ne plus croire
aux dieux. Ils sont tout simplement des calomniateurs, des espèces d’ombre
qu’il est pourtant obligé de combattre. Ils accusent Socrate d’être un physicien et d’encourager les jeunes à le suivre
sur cette voie. Socrate assure
cependant qu’il n’est pas savant dans ces matières et qu’il ne cherche pas à
éduquer les jeunes gens pour gagner de l’argent. Cela est plutôt l’œuvre des
sophistes qui se vantent de savoir une multitude de choses alors que lui Socrate ne sait rien du tout. En
réalité, dit Socrate, ce qui le rend
célèbre, ce n’est ni des connaissances physiques ni l’éducation des jeunes gens
mais le fait qu’il possède une « sagesse
d’homme » (20d), par opposition à la sagesse des sophistes qui n’est
pas une sagesse proprement humaine. C’est, en effet, l’Oracle de Delphes, la
Pythie, qui l’a désigné comme étant le plus sage des hommes. Socrate, voulant comprendre ce que le
dieu a voulu dire par là, lui qui ne se considère pas comme un sage, entreprend
alors une enquête qui consiste à examiner les hommes célèbres par leur sagesse,
en l’occurrence les hommes politiques, les poètes et les gens de métier. Or,
cette enquête lui a montré que ces hommes paraissaient seulement sages aux yeux
des autres mais ne l’étaient pas réellement. Qui pis est, ils ignoraient même
qu’ils ne sont pas sages. Socrate en
conclut alors qu’il est plus sage qu’eux car lui il sait du moins qu’il ne sait
rien. Or, en se comportant de cette manière, Socrate se faisait en même temps des ennemis et par là-même des
calomniateurs. Mais, se mettant désormais au service du dieu, il a continué
d’agir de la sorte, en interrogeant tous ceux qu’il croise et se fait même
imiter par les jeunes. D’où la colère et les calomnies.
Quant à l’accusation de Mélétos, elle
s’énonce ainsi : « Socrate est
coupable devant la justice de corrompre la jeunesse et de ne pas croire aux
dieux qu’honore la cité, mais de croire en d’autres choses, des affaires de
démons d’un nouveau genre » (24b-c). En ce qui concerne la corruption
de la jeunesse, Socrate dit d’abord
que c’est plutôt Mélétos qui est coupable en se livrant à une accusation aussi
ridicule, lui qui ne s’occupe même pas du sort des jeunes, puis interroge
directement Mélétos pour montrer comment il a tort de l’accuser. Sous les
interrogations de Socrate, Mélétos
admet que parmi tous les Athéniens seul Socrate
corrompt les jeunes et le fait de manière volontaire. Socrate s’oppose cependant sur ce point à Mélétos : « Ou bien je ne suis pas un corrupteur, ou
bien si je le suis, c’est sans le vouloir, de sorte que toi, dans un cas ou
dans l’autre, tu mens » (26a). Or, au cas où il ferait du mal aux
jeunes sans le savoir, il suffit tout simplement de l’instruire pour le juger,
ce qui ne relève pas du tribunal. En ce qui concerne son enseignement, Socrate demande à Mélétos de préciser
son accusation. Mélétos précise cela en disant que Socrate ne croit à aucune espèce de dieu et que c’est cela qu’il
enseigne aux jeunes. Il renchérit en ajoutant que Socrate ne prend même pas le soleil et la lune pour des dieux, mais
considère que l’un est une pierre et que l’autre est de la terre. Socrate le corrige en lui montrant que
c’est plutôt Anaxagore qui défend de
telles idées. De plus, selon Socrate,
Mélétos se contredit dans son acte d’accusation même. En effet, comment peut-on
croire à des affaires de démons et ne pas croire en même temps à l’existence
des démons ? En outre, dans la mesure où les démons sont les enfants des
dieux, il est impossible de croire à leur existence sans croire à l’existence
des dieux.
Après ce face à face avec Mélétos, Socrate, s’adressant aux Athéniens,
déclare que c’est en réalité la haine qu’il inspire qui le ferait condamner et
que la crainte de la mort ne l’empêcherait pas de philosopher. « De fait, personne ne sait ce qu’est la mort,
personne ne sait si elle n’est pas justement pour l’homme le plus grand de tous
les biens, mais on la craint comme si on était assuré qu’elle est le plus grand
des maux ». Craindre la mort revient ainsi à croire connaître ce que
l’on ne connaît pas. Commettre l’injustice et désobéir au dieu, c’est cela qui
est un mal. Même s’ils le relâchaient, assure Socrate, il n’abandonnerait jamais ses enquêtes parce qu’en les
faisant il obéit au dieu. Il témoigne aux Athéniens qu’il ne fait que les
exhorter à entretenir leur âme. « Oui,
sachez-le bien, si vous me faites mourir, moi qui suis l’homme que je dis, vous
ne me ferez pas un plus grand tort qu’à vous-mêmes » (30c). C’est
d’ailleurs pour les Athéniens qu’il plaide, dit Socrate, non pour sa défense. Il est, en effet, chargé par le dieu
de veiller sur la cité. Tout le monde doit savoir d’ailleurs qu’il est au
service de la cité, lui qui ne s’occupe même pas de ses affaires personnelles
et qui ne cherche pas à se vêtir de l’étoffe d’un homme public. Un homme qui
défend la justice, dit Socrate, doit
se méfier de la politique s’il veut échapper à la mort. Socrate assure qu’il n’est le maître de personne et qu’il n’exige
aucun salaire pour ses discussions. Du reste, s’il corrompait vraiment les
jeunes, pourquoi ceux-ci ne monteraient-ils pas à la tribune pour en
témoigner ? Pour sa part, il ne va supplier personne pour se voir
acquitter. « Car le juge ne siège
pas pour réduire la justice en faveur, mais pour décider de ce qui est
juste ; et il a fait serment non de favoriser qui lui plaît, mais de
rendre la justice selon les lois » (35c).
2°) DISCOURS DE SOCRATE APRES QU’IL EST
DECLARE COUPABLE (35E-38B)
Socrate
dit ne pas s’indigner de l’issue du procès parce qu’il s’y attendait mais
s’étonne tout de même de l’écart serré entre les votes qui est de trente voix.
Il demande seulement à être nourri au Prytanée pour tous les services qu’il a
rendus aux Athéniens. N’ayant commis aucune injustice, il ne se montrera pas
non plus injuste envers lui-même en se disant mériter tel ou tel mal. Doit-il
fuir la mort pour la prison, l’exil ou encore quelque amende ? La prison
ne ferait de lui qu’un esclave. Quant à l’exil, c’est un mauvais choix, car si
Athènes même ne supporte pas ses discours, quelle cité le fera-t-elle ? Il
ne pourrait pas non plus se tenir tranquille et éviter de dialoguer parce qu’il
doit obéir au dieu. S’il avait de l’argent, il proposerait une amende. Il propose
finalement une mine[4] que ses amis Platon, Criton, Critobule et Apollodore
invitent à hausser jusqu’à trente mines.
3°) DISCOURS DE SOCRATE APRES SA
CONDAMNATION A MORT (38C-42A)
Socrate
déclare à ceux qui ont voté sa mort, lui qui était déjà si proche de la mort,
qu’ils se déshonorent et que s’ils l’ont condamné à mort, c’est simplement
parce qu’il n’a pas voulu débiter les paroles qui leur feraient plaisir. Mais
il se félicite de s’être défendu comme il l’a fait car il ne faut pas faire
n’importe quoi pour échapper à la mort. Il est plus difficile d’ailleurs
d’échapper à la lâcheté que d’échapper à la mort. Lui, Socrate, il n’est rattrapé que par la mort alors que ses
accusateurs sont rattrapés par la méchanceté. Socrate déclare ensuite à ceux qui l’ont condamné qu’un châtiment
tombera sur eux tout de suite après sa mort. S’ils l’ont condamné pour se
débarrasser de tout ce qui leur tient tête, il y a encore des jeunes qui ne
lâcheront jamais, qui leur demanderont toujours des comptes.
Quant à ceux qui ont voté pour son
acquittement, il leur demande de rester avec lui un peu pour dialoguer. Socrate se félicite ensuite de ce que
le dieu qui avait l’habitude de l’arrêter au beau milieu de ses discours ne
l’ait pas arrêté tout au long de ce procès ; c’est signe qu’il n’a dit
aucun mal. La mort est certainement un bien. En effet, soit elle est absence de
perception soit elle est une transformation de l’âme. Dans le premier cas, la
mort est avantageuse car elle ne devient rien d’autre qu’une nuit de sommeil.
Dans le deuxième cas, c’est aussi une bonne chose que d’aller chez Hadès, d’y
rencontrer les vrais juges, les héros, tous les hommes de bien avec qui l’on
pourra dialoguer à loisir. Socrate
dit qu’il aime de ce point de vue la mort qui est l’occasion pour lui de se
débarrasser de ses ennuis. Il n’en veut pas à ses accusateurs et à ceux qui
l’ont condamné mais ils méritent d’être blâmés pour leur mauvaise intention. Il
leur adresse seulement une prière : ne point hésiter à corriger ses fils
comme lui il les a tourmentés.
IV. THEMES IMPORTANTS DE L’ŒUVRE
Dans l’œuvre, Platon nous présente Socrate
comme l’incarnation du philosophe type qui n’hésite pas à saisir toutes les
occasions pour philosopher. En fait, c’est en philosophe que Socrate assure sa propre défense. Ainsi
tout au long de ses discours, il a abordé des questions comme la mort, la politique, la justice, la
vérité, l’opinion, la sagesse, etc.
1°) LE THEME DE LA MORT
Socrate
déclare que ce n’est pas la crainte de la mort qui doit compter mais plutôt la
crainte de l’injustice. C’est ainsi que se comportaient les héros morts à Troie
comme Achille qui a bravé la mort en vengeant son ami Patrocle. Craindre la
mort, dit-il, « n’est rien d’autre
que croire qu’on sait ce qu’on ne sait pas ». On ne sait pas, en
effet, ce qu’est la mort puisqu’aucun vivant n’en a fait l’expérience et
pourtant on la redoute comme si l’on sait qu’elle est un mal. Ce qui importe,
c’est de prendre soin de sa vie pour ne pas être pris au dépourvu par la mort. Socrate estime que la mort est soit une
absence totale de perception soit une transmigration de l’âme. Dans le premier
cas, c’est un gain car elle devient aussi paisible qu’une nuit de sommeil sans
rêves. Cette conception de la mort revient en fait à dire qu’elle n’est rien du
tout comme le montrera Epicure dans
sa Lettre à Ménécée : « Maintenant habitue-toi à la pensée
que la mort n'est rien pour nous, puisqu'il n'y a de bien et de mal que dans la
sensation et la mort est absence de sensation ». Epicure nous invite ainsi à ne pas craindre la mort dans la mesure
où elle est un événement insignifiant pour celui qui vit. Dans
l’autre cas aussi, c’est un bien car elle sera l’occasion de quitter ce monde
plein d’injustice pour rejoindre le royaume d’Hadès, le vrai juge. La mort est
comprise ici comme la séparation entre l’âme qui est incorruptible et le corps
qui est périssable. Socrate estime
que quand on meurt, c’est seulement le corps qui se détruit et l’âme survit
dans un autre monde dans lequel son sort dépendra de sa vie mondaine. Si
l’individu a bien entretenu son âme, c’est-à-dire s’il a été juste, il sera
bien récompensé. Dans le cas contraire, il sera châtié. On le voit donc, le mal
ce n’est pas la mort elle-même mais l’injustice.
2°) LE THEME DE LA JUSTICE
Souvent évoquée en rapport avec la mort, la
justice doit être l’objectif du sage et Socrate
lui-même nous confie que tout au long de son existence, dans la vie privée
comme dans la vie publique, la justice a été son seul souci. Il dit même qu’il
préfère mourir dans la justice plutôt que de vivre dans l’injustice. Dans un
Etat de droit, la justice se réalise dans le respect des lois. C’est pour cette
raison d’ailleurs que Socrate a
refusé de fuir même s’il sait que les lois qui l’ont condamné sont injustes.
C’est sans doute cet esprit de justice qui l’amène à critiquer le
fonctionnement de la justice athénienne. Il dénonce le fait que les
supplications puissent compter comme argument lors d’un procès. Le juge, nous
dit-il, « fait serment non de
favoriser qui lui plaît mais de rendre la justice selon les lois ».
Cela veut dire que la justice doit être indépendante de la sensibilité
subjective des juges et doit s’incarner seulement dans l’universalité de la
loi. Socrate attaque la justice
aussi sur un autre point, le fait de « juger
un procès capital en un seul jour ». Cela empêche, en effet, d’avoir
le temps nécessaire pour bien se défendre. C’est pourquoi il doit y avoir une
loi qui interdise cela.
3°) LE THEME DE LA POLITIQUE
A maintes reprises, Socrate défend l’idée que la vie politique est incompatible avec la
vie du sage. Il estime qu’on ne peut pas être un homme honnête et faire de la
politique si l’on tient à garder sa vie. C’est que la politique rime avec la
violence et l’injustice de sorte que l’homme vertueux y apparaît comme
quelqu’un qui dérange, une menace qu’il faut éliminer. C’est pourquoi lui, Socrate, il a préféré vivre en simple
philosophe loin de l’arène politique, n’acceptant jamais d’exercer une charge
dans la cité. « Croyez-vous que j’aurais vécu tant d’années
si j’avais fait la politique ? » (32e), questionne Socrate. Cette méfiance socratique
envers la politique ne sera pas partagée par son disciple Platon qui estime que pour la réalisation d’une cité juste il faut
que les philosophes gouvernent ou alors que ceux qui gouvernent soient
philosophes.
4°) LE THEME DE LA VERITE
Dès l’entame de son discours, Socrate promet qu’il ne dira que la
vérité contrairement à ses accusateurs qui ne profèrent que des mensonges. Il
considère que l’essentiel, ce n’est pas d’être un habile parleur mais de dire
la vérité. Il y a donc une différence fondamentale entre « dire vrai »
et « savoir parler ». La beauté d’un discours peut certes séduire
mais n’implique jamais sa vérité. Sur ce point, Socrate s’oppose principalement aux sophistes, ces maîtres de
rhétorique qui enseignaient l’art de parler au public et les stratégies à
adopter pour l’emporter dans une discussion. Les discours des sophistes
visaient plus à séduire qu’à dire la vérité au prix d’arguments fallacieux
(sophismes). Un des sophistes Protagoras
considère même que « l’homme est la
mesure de toute chose », une manière de dire que la vérité est
relative et que donc chacun a sa propre vérité. Gorgias, un autre sophiste, note que le discours est une magie qui
agit comme une drogue sur l’âme qu’il faut apprendre à maitriser pour exercer
son emprise sur la foule. Pour lui, le langage ne peut rendre compte de la
vérité mais il nous permet d’agir sur les âmes.
5°) LE THEME DE LA SAGESSE
Dans la perspective grecque, la sagesse
signifie à la fois le savoir et la vertu. Est
qualifié de sage celui qui possède beaucoup de connaissances mais qui a
aussi un comportement exemplaire. C’est dans ce sens justement qu’on parlait
des sept sages de la Grèce (Thalès, Pittacus, Bias, Solon d’Athènes, Cléobule,
Périandre, Chilon). Socrate, quant à
lui, fait une distinction entre deux sortes de sagesse : la « sagesse divine » qui consiste à
tout savoir et la « sagesse humaine »
qui consiste à savoir qu’on ne sait rien. La première forme de sagesse est
celle à laquelle se référait Pythagore
quand il refusait d’être appelé sage, persuadé que seuls les dieux le sont.
C’est aussi dans ce sens que Socrate
prenait le mot lorsqu’il était déclaré comme étant le plus sage des hommes par
l’oracle de Delphes, ce qui lui a posé un problème de compréhension et l’a
poussé à se livrer à des investigations au bout desquelles il se rendra compte
que c’est d’une autre forme de sagesse qu’il s’agit, la sagesse humaine. Cette
découverte lui a permis de battre en brèche les sophistes en leur montrant
qu’ils ne sont que des ignorants déguisés en faux sages.
[1].
Il s’agit de la mutilation des Hermès, c’est-à-dire les bornes qui délimitaient
les rues d’Athènes, ce qui est perçu comme un sacrilège.
[2].
A Athènes, l’archonte-roi était le juge chargé des crimes d’homicide et
d’impiété.
[3].
Les Sophistes sont des « professeurs de sagesse » qui voyagent de
cité en cité pour livrer des enseignements moyennant un salaire. Socrate se
distingue d’eux sur au moins deux points : il ne reçoit pas de salaire
pour ses enseignements et ne se déclare jamais comme savant mais comme un
ignorant qui se sait ignorant.
[4]. Une mine est un poids de cent drachmes chez
les Grecs. Une drachme est une monnaie d’argent dont le poids est équivalent à
quatre grammes trente-six centigrammes.
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